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lundi 5 février 2018

J’irai mourir à Ersta Sjukhus au 4e étage, chambre 7

Depuis un mois et trois semaines, jhabite toutes mes journées au centre de soins palliatifs des diaconesses d'Ersta Sjukhus à Stockholm. C’est incroyable, jusqu’à maintenant jamais je n’avais été dans un centre de soins palliatifs. Il aura fallu que j’atteigne l’âge canonique de presque 59 ans pour, bien malgré moi, en visiter un. 

Le plus beau panorama de Stockholm se voit depuis Ersta Sjukhus
Je mattendais à un lieu dépouillé, silencieux, une sorte d’antichambre de la mort sinistre et ténébreuse. La première femme de ma vie y habite désormais chambre 7.


Main dans la main, pour le meilleur comme pour le pire

Un lien indéfectible m’unit désormais à ce lieu où je meurs un peu plus chaque jour. Mais je n’ai pas peur. Je suis épuisé, je suis déprimé, je pleure toutes les larmes du monde… mais personne ne me volera ces instants privilégiés avec elle.

Je ne sais pas dans quel état je finirai ce séjour. Ce sont mes collègues, mes amis et mes proches qui m’ont permis de venir au moment ou je me consumais sur place en France. Elle men a tellement remercié et aussi pensé à remercier celles et ceux qui permettent que je sois avec elle. Jusqu'au bout c'est elle qui m'aura protégé. Elle m'avais dit « Tu leur raconteras comment ça se passe en Suède… ». C'est ce que je fais !

Cest un lieu bien plus vivant que les services ordinaires des hôpitaux publics et ceux des cliniques privées français que je connais. Les chambres ressemblent à des suites d’hôtel 4 étoiles, immense salle de bain avec douche à l’italienne.

Chaque chambre est équipée d'un réfrigérateur et de deux placard dont le plus grand peut fermer à clef.
 
Le réfrigérateur et les placards jouxtent la porte d'entrée

L'avant de la chambre avec le lit et tout le mobilier qui est en bois (cela fait plus vivant m'a-t-on dit)
Au fond de chaque chambre il y a un grand pouf carré qui se déplie en lit d'appoint. Si l'on souhaite dormir près de son proche, on vous donne les draps et le linge nécessaires.




Dans le couloir il y a un open bar en libre-service qui sert des cafés, thés, infusions, laits chauds ou froids, smoothies et jus de fruit le tout gratuitement et à volonté pour les patients comme pour les visiteurs ou le personnel.

Pouvoir avoir une omelette au fromage ou un saumon à l'aneth
  préparés par un gentil cuisinier érythréen super souriant c'est toppissime. En Suède on n'aime plus trop les distributeurs, on est revenu au contact humain et très souvent au « fait maison » dans de nombreux établissements.


Quon soit mourant ou proche tout est gratuit. Il y a même du vin ou de la bière.


Et comme partout en Suède l'adorable drapeau suédois trône à côté du sucre

Les boissons pour rester fraîches sont placées sur des plaques réfrigérantes en métal épais.



Je le répète ici tout est gratuit. On paye des impôts en Suède, bien sûr beaucoup moins qu'en France. Payer pour cela serait un manque de bienveillance.


Plus étonnant encore, en plus de la vaste bibliothèque du salon au milieu du couloir principal, devant les bureau des professionnels à la vitrine transparente trône une mini bibliothèque de livres et de brochures consacrées au sens de la vie, à la mort, à la douleur, au deuil.


Au milieux du couloir des livres en libre service sur le sens de la vie, la mort, la souffrance, le cancer…

 Les animaux familiers sont acceptés dans les chambres (chats et chiens) mais pas les élans ni les rennes bien entendu. Et je vais vous étonner encore plus…

Charlie la gentille chienne de Pia

On fête la Sainte Lucie ou Noël et plein d'autres fêtes entre patients et proches dans la salle à manger, avec de véritables festins, des chorales, des artistes viennent chanter dans la salle à manger ou le salon où trône d'ailleurs, une bibliothèque, une télé (comme dans toutes les chambres), un piano disponible pour toutes celles et ceux qui veulent en jouer, des jeux de société, des peintures, du matériel de modelage.




Normalement les photos sont interdites mais quand j'ai dit que c'était pour montrer en France aux professionnels de santé proches d'Emmanuel Macron toutes les portes se sont ouvertes et seuls les professionnels qui ont accepté figurent sur mes images). Notre président est très estimé par beaucoup de Suédois car il leur ressemble beaucoup plus que vous ne le croyez.

Bien entendu les patients trop fatigués restent dans leur chambre. Et alors que nous sommes dans un service de soins palliatifs pour adultes, nous avons parfois des clowns qui viennent dans la chambre pour nous distraire de la mort et de la souffrance.

Parfois les proches et le patient se mettent à chanter ensemble ; c'est tellement bouleversant que je tenais à vous le faire partager.




Je ne vous parlerai pas du wifi haut débit gratuit dans tout l'hôpital, ni des horaires de visites qui sont libres mais de la partie du salon qui est réservée aux enfants visiteurs et où ils peuvent soigner le nounours du service ou jouer à plein d'autres jeux qui ne sont pas sur la photo. 


Nounours est aussi en soins palliatifs et les jeunes enfants prennent soin de lui


Plus étonnant, je vois des nourrissons et de très jeunes enfants visiter, accompagnés de leur maman, leur papy ou leur mamie. Et j'ai vu des échanges de tendresse entre des personnes au terme de leur vie et des être qui débutent la leur… Il règne ici, une tolérance et une bienveillance extrême…

Dans la salle à manger, la chaise de bébé est prête à accueillir l'enfant qui vient visiter un de ses proches mourant


L'entrée de la salle à manger avec à côté du vaisselier un siège bébé en libre accès pour les visiteurs…

J'oubliais, il y a des fleurs de vraies fleurs et des plantes partout dans les salles communes ou les chambres, le couloir, etc.







D'ailleurs, pas à Ersta mais dans plusieurs hôpitaux de Stockholm et de Suède, entre la pharmacie, les différents restaurants, les boutiques, les distributeurs de billets et la médiathèque, il y a très souvent un fleuriste et ça n'a pas l'air de les rendre plus malades que ça ni les hospitalisés ni le personnel d'ailleurs.

La Suède compte beaucoup moins d'infections nosocomiales que nous, mais vous le saviez déjà. J'oubliais de vous dire que ce sont eux aussi qui ont inventé les lotions désinfectantes pour nous purifier les mains (vous le saviez aussi)


Je vous quitte un instant car je vais chanter et danser avec les clowns qui sont venus me chercher… Nous allons faire une farandole de dingues pour oublier la mort quelques instants.

J'espère vraiment que je ne vous ennuie pas. J'ai d'autres choses étonnantes et parfois irrésistibles à vous monter.

...

Je prends un plus peu de temps pour retrouver le goût d'écrire, maman est partie le 8 février 2018.
La République du Centre 10 février 2018

Maman a tenu, de sa propre initiative et avec son smartphone, a remercier mes ami(e)s et collègues qui ont permis que je la rejoigne à Stockholm. Voici sa dernière parole publique le 17 décembre 2017. Regardez et écoutez ce témoignage  exceptionnel et bouleversant… 






La fin de vie doit respecter les volontés du patient ou de l'usager.

En ce qui me concerne, je veux le suicide assisté ou l'euthanasie active si je ne suis plus en mesure de m'exprimer. J'irais mourir à Ersta Sjukhus, au quatrième étage chambre 4 quand la loi me permettra de mourir selon mon choix.

Maman voulait la même chose pour elle. Où elle était, la loi ne le permet malheureusement pas. 

Maman n'a pas eu la force de se rendre dans un pays où c'est permis.

D'une certaine façon les soins palliatifs lui ont volé la mort qu'elle souhaitait…







5 commentaires:

  1. C'est un témoignage très émouvant... j'aimerais aussi qu'on m'aide à partir si je ne peux plus vivre sans assistance, j'espère que dans 10 ans cela sera possible, je suis contre l'acharnement thérapeutique, maintenir une personne en état végétatif, je trouve cela cruel et pour moi je n'en veux pas.

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  2. Il faut surtout accompagner la vie comme cela se fait dans les unités de soins palliatifs en France où ce qui est décrit à Stocklom existe aussi chez nous mais à une échelle bien basse. J'oeuvre au quotidien pour que la vie soit accompagnée jusqu'au bout y compris à domicile ou en Ehpad

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  3. Quel émouvant témoignage d'avoir accompagné votre maman .J'aurai aimé tellement faire comme vous pour mes parents il y a 30 ans on avait pas le choix la fin des visites terminées il valait partir les laissés seul .Il y a 3 ans j'ai pu resté avec ma nièce (43 ans)elle s'est endormi dans mes bras En 30 ans les mentalités ont changées dans les hôpitaux

    )

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  4. Quel bouleversant message,une belle leçon de vie, malgré la mort inéluctable

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  5. Desbordes Muriele25 janvier 2024 à 01:11

    Espoir et réalisme en même temps…..C’est avec un sincère respect que j’aimerais vous lire en Message Privé. Pouvoir échanger avec vous sur ce sujet.
    Profitez de la bienveillance qui vous est donnée.
    Murièle

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